Paroles d'expert

Pollution des sols : qui est responsable ?

Le sol est le dernier milieu naturel qui ne soit pas protégé. En l’absence de cadre juridique transversal, l’identification du responsable de la pollution des sols est complexe.

Protection des sols : un arsenal juridique européen et national lacunaire

« Les sols sont des réservoirs de biodiversité, assurant de nombreux services écosystémiques tels que la production alimentaire, la régulation du climat, la qualité de l’eau ou le bien-être humain en général ».

Ainsi débute la motion n°85 de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), intitulée « lutter contre la dégradation et l’artificialisation des sols », qui constate que « la dégradation de l’état des sols est l’une des principales pressions exercées sur la biodiversité »[1].

Ainsi les enjeux sanitaires et environnementaux de la dégradation et de la pollution des sols occupent une grande place dans le débat public, comme en témoigne également le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols de septembre 2020[2].

Le 27 janvier 2021, un rapport d’information sur la revalorisation des friches industrielles a par ailleurs été déposé par dix-huit députés. Ce rapport insiste notamment sur les difficultés liées au recensement des friches et précise que leur réhabilitation permet de revaloriser le patrimoine industriel de certaines régions.

Pour évoquer la responsabilité liée à la pollution des sols, il est nécessaire de revenir aux fondamentaux : le principe pollueur-payeur, érigé en principe économique par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en 1972. C’est un principe essentiel des politiques environnementales internationales et européennes. En France, ce principe se traduit à la fois au niveau constitutionnel et au niveau législatif :

– Article 4 de la charte de l’environnement : « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi » ;

– Article L. 110-1, 3° du code de l’environnement : « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur».

Malgré l’existence du principe pollueur-payeur, le rapport de la commission d’enquête sénatoriale susvisé constate que « le sol pâtit aujourd’hui d’un arsenal législatif et réglementaire parcellaire ».

Effectivement, il n’existe pas de réglementation globale visant la protection des sols. Ni au niveau de l’Union européenne, où le projet de directive définissant un cadre pour la protection des sols de 2006 a été abandonné en 2014 ; ni au niveau national, où l’arsenal juridique est lacunaire.

Le sol est le dernier milieu naturel qui ne soit pas protégé en France et en Europe. C’est pourquoi la commission d’enquête appelle de ses vœux l’adoption d’une « grande loi sur les sols », instaurant un cadre juridique plus transversal et plus complet.

En attendant cette avancée législative tant attendue, il est essentiel de comprendre le cadre juridique actuel, qui se divise en trois principaux pans sectoriels : (i) le droit des installations classées pour la protection de l’environnement (IPCE), (ii) le droit des déchets et (iii) le droit des sites et sols pollués. Les différentes juridictions se sont prononcées sur de nombreux aspects de la pollution des sols, ce qui rend difficile une compréhension juridique globale. Le présent article a donc pour objet de décrypter les enjeux juridiques de la pollution des sols, à la lumière de la jurisprudence.

Niveaux de responsabilités dans le cadre des ICPE

Responsabilité administrative de l’exploitant ICPE ou de son ayant-droit

La responsabilité administrative au titre de la réglementation des ICPE incombe à l’exploitant ICPE pendant la phase d’exploitation et pendant la phase post-exploitation. Si une pollution est générée par l’activité relevant de la nomenclature ICPE pendant la phase d’exploitation, il est relativement aisé d’identifier la personne qui doit dépolluer, puisqu’il s’agit de l’exploitant ICPE.

La situation se corse en phase post-exploitation, en particulier lorsque le dernier exploitant a disparu. La jurisprudence considère que l’obligation de remise en état du site pèse sur l’ancien exploitant ou, si celui-ci a disparu, sur son ayant-droit. Lorsque l’exploitant ou son ayant-droit a cédé le site à un tiers, cette cession ne l’exonère de ses obligations que si le cessionnaire s’est substitué à lui en qualité d’exploitant[3]. En cas de succession d’exploitants, le juge reconnait que le dernier exploitant en date doit supporter l’obligation de remise en état[4].

La charge financière des mesures à prendre au titre de la remise en état d’un site ne peut plus être imposée à un exploitant ou à son ayant-droit après 30 ans : il s’agit de la « prescription trentenaire ».

Le point de départ de cette prescription a été précisé par le Conseil d’État[5] et deux cas de figure sont à distinguer :

– Cessation d’activité ICPE avant le 8 octobre 1977 : le point de départ de la prescription trentenaire est la date de la cessation effective de l’activité.

– Cessation d’activité ICPE après le 8 octobre 1977 : le point de départ de la prescription trentenaire est la date à laquelle la cessation d’activité a été portée à la connaissance de l’administration.

En effet, l’obligation d’informer le préfet de la cessation d’activité est entrée en vigueur le 8 octobre 1977 (décret du 21 septembre 1977 pris pour l’application de la loi du 19 juillet 1976 relative aux ICPE). Il convient de souligner que la prescription trentenaire ne s’applique pas lorsque l’exploitant a dissimulé les dangers ou inconvénients présentés par le site.

Dans cette même décision, le Conseil d’État précise utilement les modalités d’intervention de l’État pour effectuer les mesures de remise en état, lorsque l’ancien exploitant a disparu, qu’il est insolvable ou que le délai de prescription a expiré.

En principe, l’État peut, sans y être tenu, financer lui-même, avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, des opérations de dépollution au regard de l’usage pris en compte, dont il confie la réalisation à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ou à un autre établissement public compétent.

Par dérogation, lorsque la pollution d’un sol présente un risque grave pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques ou pour l’environnement, il incombe à l’État de faire usage de ses pouvoirs de police en menant notamment des opérations de dépollution du sol, pour assurer la mise en sécurité du site, compte tenu de son usage actuel, et remédier au risque grave ayant été identifié.

Responsabilité pénale de l’exploitant ICPE : reconnaissance du délit de mise en danger d’autrui

Par un arrêt du 11 octobre 2019[6], la cour d’appel de Paris a pénalement sanctionné le dysfonctionnement d’une usine d’incinération ICPE. Le délit de mise en danger délibérée d’autrui a été pour la première fois sanctionné, du fait d’un panache de pollution toxique (dioxines) produit par une ICPE.

La cour d’appel a considéré que les trois conditions du délit de mise en danger délibérée d’autrui étaient réunies, à savoir (i) la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposées par la loi ou le règlement, (ii) l’exposition à un risque immédiat de mort ou de blessures graves et (iii) un lien de causalité entre ces deux éléments.

Cette décision concerne la pollution de l’air par des dioxines et pourrait être sûrement généralisée aux substances « CMR » (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques) ainsi qu’à la pollution des sols lorsqu’elle génère des risques d’augmentation des cas de cancers ou de maladies graves. A titre d’exemple, la pollution des sols par des solvants chlorés (perchloroéthylène (PCE), perchloroéthylène (TCE), volatils et qui donc intoxiquent les populations vivant sur ces terrains, pourrait être concernée par cette jurisprudence.

Selon un commentaire de Corinne Lepage, Benoît Denis et Valérie Saintaman, « l’arrêt de la cour d’appel de Paris démontre positivement que la justification de l’exposition à un risque, qui constitue l’écueil principal de l’action des victimes, pourra être rapportée par des études statistiques et des modélisations scientifiques, améliorant grandement leurs chances d’obtenir gain de cause »[7].

Cette décision est à mettre en perspective avec un revirement de jurisprudence majeur, opéré par la Cour de cassation le 25 novembre 2020[8]. Désormais, sous certaines conditions, une opération de fusion-absorption ne fait plus obstacle à la recherche de la responsabilité pénale de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant ladite opération.

Ainsi la société absorbante pourrait être condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée, avant l’opération de fusion-absorption. La continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à un transfert de responsabilité pénale.

La portée de cette décision doit néanmoins être nuancée, car ce transfert de responsabilité pénale est limité aux cas de fusions de sociétés anonymes et la société absorbante n’encourrait qu’une peine d’amende ou de confiscation.

Déchets, le détenteur responsable

L’article L. 541-2 du code de l’environnement dispose que tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers.

Sur le fondement de ces dispositions, la jurisprudence administrative a considéré que lorsqu’un détenteur de déchets actuel est défaillant, le détenteur antérieur peut être recherché s’il a été négligent et a géré ses déchets sans respecter la réglementation[9].

En l’absence des producteurs ou autres détenteurs connus des déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ils ont été déposés peut être regardé comme leur détenteur, au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement. Ainsi, la responsabilité du propriétaire non exploitant peut être recherchée, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ou s’il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d’une part, l’existence de ces déchets, d’autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations[10]. Lorsqu’un propriétaire s’abstient de toute surveillance et de tout entretien du terrain, cela caractérise sa négligence et il peut voir sa responsabilité engagée[11].

En principe, l’autorité de police en droit des déchets est le maire, mais cela demeure la préfecture si les déchets sont situés sur un site ICPE. La Cour de cassation a récemment précisé que seul le préfet est l’autorité compétente pour exercer la police des déchets, si des déchets, y compris sauvages, se trouvent sur un site ICPE[12].

Hiérarchie des responsabilités pour les sites et sols pollués

Aux termes de l’article L. 556-3 du code de l’environnement, en cas de pollution des sols ou de risques de pollution des sols présentant des risques pour la santé, la sécurité, la salubrité publique et l’environnement au regard de l’usage pris en compte, l’autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d’office l’exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable.

Une hiérarchie des responsables est fixée par cet article :

1° Pour les sols dont la pollution a pour origine une ICPE, le dernier exploitant de l’installation à l’origine de la pollution des sols.

Pour les sols pollués par une autre origine, le producteur des déchets qui a contribué à l’origine de la pollution des sols ou le détenteur des déchets dont la faute y a contribué ;

2° A titre subsidiaire, en l’absence de responsable de premier rang, le propriétaire de l’assise foncière des sols pollués par une activité ou des déchets, s’il est démontré qu’il a fait preuve de négligence ou qu’il n’est pas étranger à cette pollution.

Peu de juridictions se sont prononcées sur l’application de cet article depuis son entrée en vigueur de cet article le 27 mars 2014. La cour administrative d’appel de Lyon a précisé que l’article L. 556-3 du code de l’environnement ne saurait s’appliquer aux voiries routières contenant de l’amiante, dans la mesure où l’usage qui est fait du sol pollué ne présente pas de risques pour la santé[13]. Dans la mesure où il s’agit d’une simple jurisprudence d’espèce, il serait utile de disposer d’autres jurisprudences afin de préciser les termes et implications de l’article L. 556-3 du code de l’environnement.

Qui porte la responsabilité en cas de liquidation judiciaire ?

La liquidation judiciaire se matérialise par un arrêt de l’activité et la désignation d’un mandataire judiciaire (liquidateur judiciaire), chargé de représenter la société. La charge de dépollution d’un site classé incombe essentiellement au dernier exploitant d’un bien pollué. En fonction de l’activité exercée, les sources de pollution sont issues de pratiques de l’entreprise parfois anciennes et, en tout état de cause, bien antérieures à la liquidation judiciaire.

Lors de la défaillance de l’entreprise, des obligations incombent aux mandataires de justice. En cas de sauvegarde et de redressement, l’administrateur judiciaire fait réaliser un bilan environnemental. Cet audit est réalisé par le débiteur ou un technicien désigné par ordonnance du juge-commissaire.

En cas de liquidation judiciaire, le mandataire judiciaire est tenu de mettre en œuvre les diligences permettant la dépollution de l’installation classée.

Compte tenu du principe de responsabilité subsidiaire du propriétaire, le mandataire judiciaire en charge de la liquidation d’une SCI, propriétaire d’un terrain, doit également être vigilant en fonction de la nature de l’activité du locataire (déchets entreposés, etc.).

Lorsque l’exploitant est une société filiale au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce et qu’une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à son encontre, le liquidateur, le ministère public ou le représentant de l’État dans le département peut saisir le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire pour faire établir l’existence d’une faute caractérisée commise par la société mère qui a contribué à une insuffisance d’actif de la filiale et pour lui demander, lorsqu’une telle faute est établie, de mettre à la charge de la société mère tout ou partie du financement des mesures de réhabilitation du ou des sites en fin d’activité.

La liquidation judiciaire se caractérise aussi par la gestion de la pénurie. Le propre d’une procédure collective est en effet de ne pouvoir régler, sauf exception, l’intégralité des créanciers. L’objectif est donc de gérer au mieux la pénurie d’actifs et de concilier des intérêts susceptibles d’être contradictoires.

Des problématiques de financement des opérations de dépollution existent compte tenu de l’impécuniosité des dossiers ou des moyens limités dont disposent les mandataires de justice (paiement des assurances, taxe foncière, intervention d’experts, mise en sécurité du site, opérations de dépollution).

Les articles 57 et 58 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique ont par ailleurs accru les obligations en matière de cessation d’activité des ICPE. L’exploitant d’une ICPE doit ainsi faire attester, par une entreprise certifiée dans le domaine des sites et sols pollués, de la mise en œuvre des mesures concernant la sécurité et la réhabilitation du site. Lors de la mise à l’arrêt définitif d’une ICPE, le préfet peut par ailleurs fixer un délai contraignant pour la réhabilitation du site.

Le décret n° 2021-1096 du 19 août 2021 est venu préciser les modalités d’application de l’article 57 de la loi du 7 décembre 2020. Ce texte révise la procédure de cessation d’activité. Sa mise en œuvre risque de générer des difficultés liées au paiement des intervenants, en l’absence de fonds disponibles dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire.

Les professionnels de l’insolvabilité rencontrent également des difficultés concernant l’évaluation des actifs pollués à vendre. La valeur varie en effet en fonction de l’utilisation ultérieure effectuée par les candidats potentiels. L’obligation de dépollution (et les coûts qui en découlent) dépend de l’usage du cessionnaire (différences par exemple entre un projet de crèche et un usage industriel identique au cédant).

L’article 223 de la loi Climat du 22 août 2021 a créé un nouvel article L. 556-1 A du code de l’environnement, qui définit l’usage comme « la fonction ou la ou les activités ayant cours ou envisagées pour un terrain ou un ensemble de terrains donnés, le sol de ces terrains ou les constructions et installations qui y sont implantées ».

Lorsque le mandataire judiciaire n’est pas en mesure de verser les sommes mentionnées au sein des arrêtés préfectoraux rendus sur le fondement de l’article L. 171-8 du code de l’environnement, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) est susceptible de pallier la défaillance de l’entreprise en procédure collective. L’Ademe ne se substitue pas purement et simplement à la procédure collective, mais assure le rôle de coordonnateur des opérations (organisation et planification des opérations de dépollution initiées par des entreprises mandatées à cet effet).

La difficulté réside notamment sur le temps qui peut s’écouler entre l’ouverture de la procédure collective et la mise en œuvre effective des mécanismes d’assistance (constat de l’impécuniosité de la procédure collective, arrêtés préfectoraux, constat de l’absence d’exécution de la consignation des fonds puis intervention de l’ADEME). Cette organisation s’effectue au détriment d’opérations de dépollution rapides des installations classées soumises à une procédure de liquidation judiciaire, même s’il convient de souligner l’importance de ces dispositifs.

Conclusion : vers une évolution de la législation ?

Le schéma ci-après résume les responsables de la pollution des sols au regard de la jurisprudence actuelle et des réglementations ICPE, déchets et sites et sols pollués.

Trois éléments pourraient venir modifier le cadre juridique relatif à la pollution des sols prochainement. En premier lieu, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur les problèmes sanitaires et écologiques, liés aux pollutions des sols de septembre 2020, indique qu’il est nécessaire de poser les jalons d’un véritable droit européen et national de la protection des sols. La question de la qualification juridique des sols – et des sols pollués en particulier- apparait fondamentale.

Dans le prolongement du rapport de la mission sénatoriale de septembre 2020, Mme Jourda et d’autres sénateurs ont déposé le 17 mai 2021 une proposition de résolution européenne demandant la relance du processus d’une directive européenne et ont également rédigé une proposition de loi visant à refonder la politique de gestion et de protection des sites et des sols pollués en France.

En second lieu, l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), au sein de sa motion n° 85, publiée le 1er septembre 2020, fait le lien entre la perte de biodiversité et la pollution des sols et appelle à une responsabilisation des acteurs économiques publics et privés afin qu’ils « incluent la lutte contre la dégradation des sols ou leur artificialisation dans leurs stratégies de développement, et de partager leurs initiatives notamment via le reporting extra-financier ».

En troisième lieu, le plan d’action de l’Union européenne publié en mai 2021 a une « ambition zéro- pollution » à la fois dans l’air, l’eau et les sols, ce qui implique nécessairement un cadre juridique plus strict.

Ce nouveau cadre juridique serait bienvenu, car les défis actuels liés au climat et à la biodiversité ne pourront être relevés sans protéger les sols, systèmes très dynamiques qui remplissent de nombreuses fonctions et jouent un rôle crucial pour les activités humaines et la survie des écosystèmes.

Avis d’experts proposé par Me Louise Tschanz, avocate spécialiste en droit de l’environnement et fondatrice du cabinet Kaizen Avocat, et par Me Olivier Buisine, administrateur judiciaire et président de l’Institut Français des Praticiens des Procédures Collectives (IFPPC).

 

[1] Motion 85 de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) – Lutter contre la dégradation et l’artificialisation des sols, septembre 2020 : https://www.iucncongress2020.org/fr/motion/085

[2] Rapport « Pollutions industrielles et minières des sols : assumer ses responsabilités, réparer les erreurs du passé et penser durablement l’avenir » de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols, septembre 2020 : https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/202008/rapport_ce_pollutions_des_sols.html

[3] CE, 8 juillet 2005, n°247976, Alusuisse Lonza-France ; CAA de PARIS, n°15PA00079, 9 février 2017

[4] CE, 11 avril 1986, n°62234

[5] CE, 13 novembre 2019, n°416860, publié au recueil Lebon

[6] CA Paris, Pôle 4, Chambre 11, 11 octobre 2019, n°18-04919

[7] Santé environnementale – Condamnation pénale pour mise en danger des populations exposées aux dioxines d’un incinérateur – Commentaire par Corinne Lepage et Benoît Denis et Valérie Saintaman, LexisNexis, Revue Énergie-Environnement-Infrastructures n°12, Décembre 2019, Comm. 60

[8] Cass. Crim., arrêt n°2333, 25 novembre 2020, n°18-86.955

[9] CAA Paris, 9 février 2017, n°15PA01423

[10] CE, 24 octobre 2014, n° 361231

[11] CE, 25 septembre 2013, n°358923

[12] Cass. Civ 3e, 1er avril 2021, n°19-23695

[13] CAA Lyon, 20 septembre 2018, n°425517

Paroles d'expert

Changeons le regard sur l’entreprise en difficulté

A l’exception de 2020 – année atypique au cours de laquelle les défaillances ont sensiblement chuté – les tribunaux ouvrent en moyenne 50 000 procédures de faillites en France chaque année.

« Faillite », « dépôt de bilan », « liquidation » : ces mots font peur.

Et pourtant derrière ce vocabulaire anxiogène lié à la disparition d’entreprises en difficulté, se cachent en fait une réalité bien différente ainsi que des outils permettant de pérenniser des activités et ouvrir des perspectives à leurs forces vives.

Valorisation d’entreprise : une problématique émergente en temps de crise

Nombreux sont les cas malheureux où les dirigeants n’ont pas pris la mesure des conséquences d’une valorisation surestimée de l’entreprise lors de son rachat. Certains montages financiers basés sur une valorisation calculée à partir des résultats n-3 ou n-2 et la trésorerie de l’entreprise reprise conduisent en effet au sentiment trompeur d’une fausse sécurité découlant de ce « matelas » à disposition. Ces montages ne favorisent malheureusement pas la restructuration quand il en est encore temps. Ils entraînent parfois le dirigeant vers un échec inéluctable et un sentiment de culpabilité susceptible d’être entretenu par le cédant.

Ces valorisations élevées, réalisées bien antérieurement à la crise sanitaire, risquent d’avoir des répercussions concernant des sociétés qui ont vu leur niveau d’activité et leurs résultats baisser depuis mars 2020.

Cession d’entreprise en difficulté : une occasion de transmettre un savoir-faire et des compétences

Les procédures prévues par le code de commerce (prévention et procédures collectives) permettent à l’entreprise sous-performante d’envisager des solutions dans un cadre sécurisé.

Accompagner la transmission, générationnelle ou non, de l’entreprise en crise ou sous-performante (cession des titres ou du fonds de commerce) fait notamment partie des possibilités qu’offre le code de commerce.

Procédure amiable

En cas de difficultés, l’anticipation est le maître-mot. L’entreprise en difficulté peut solliciter du président du tribunal l’ouverture d’une procédure de prévention amiable et négocier, en toute confidentialité, un moratoire avec ses créanciers sous l’égide d’un conciliateur ou d’un mandataire ad hoc, le plus souvent un administrateur ou un mandataire judiciaire. Ces procédures méconnues dites de « prévention » peuvent aussi être l’occasion de faire preuve de plus d’ambition que de seulement « repousser le boulet » de la dette à des jours que l’on espère meilleurs.

La procédure amiable peut en effet constituer une opportunité de céder le fonds de commerce à une société nouvelle, laquelle délestée de la dette passée, disposant de capacités de financement et d’un management renforcé, saura l’exploiter et le développer. Le passif de l’entreprise cédante devra être apuré en utilisant le prix de cession, mais aussi le poste clients et la trésorerie disponible. Cette hypothèse est tout à fait réaliste, sous réserve de se placer suffisamment tôt sous la protection du tribunal de commerce.

Procédures collectives

Dans les cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire, le plan d’apurement des dettes, élaboré par le dirigeant et les mandataires de justice puis validé par le tribunal, permet de sauvegarder le maximum d’emplois possibles. Ces plans d’apurement peuvent intégrer l’entrée au capital de nouveaux actionnaires, afin d’assurer la pérennité de l’entreprise. Pour l’investisseur, l’entreprise en difficulté constitue une opportunité d’entrer au capital à une valeur décotée avec la faculté de dégager un profit si la phase de retournement s’effectue avec succès et de bénéficier, grâce à l’état des dettes validé judiciairement, de la meilleure garantie de passif qui puisse exister, outre l’inventaire des actifs qui est établi.

La cession judiciaire de l’entreprise organisée sous l’égide de professionnels de l’insolvabilité permet par ailleurs d’assurer le maintien d’activités et de tout ou partie des emplois attachés à celles-ci. Pour des acquéreurs potentiels, l’entreprise en crise est une cible qui permet d’effectuer une opération de croissance externe. Ces procédures assurent aussi chaque année la sauvegarde de milliers d’emplois. Elles contribuent au maintien de savoir-faire et de compétences dans les territoires.

Changer la vision de l’échec entrepreneurial en France

Passer par une procédure collective (sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire) devrait davantage être perçu comme une expérience professionnelle plutôt qu’un échec.

Cette vision renouvelée du « dépôt de bilan » est d’autant plus légitime en temps de crise.

Cessons de jeter l’anathème sur l’entrepreneur qui a subi une perte de chiffre d’affaires et qui a fait le choix courageux de se mettre sous la protection du tribunal en raison de la crise sanitaire. Il faudra demain l’accompagner, le financer pour faire vivre l’entreprise « France ».

Profitons de cette période si particulière où l’on a pu constater que tout pouvait basculer soudainement (couvre-feu, confinement, fermeture administrative, etc.) pour enfin changer le regard sur l’entreprise en difficulté.

Olivier Buisine, Président de l’IFPPC, et Vincent Rousseau, Président d’honneur de l’IFPPC

Paroles d'expert

Responsabilité pénale de la société absorbante : le revirement

Une société, mise en cause dans le cadre d’une information judiciaire ouverte du chef de destruction involontaire de biens d’autrui, a été absorbée par une autre société avant la comparution devant le tribunal correctionnel. Les juges du fond ont ordonné un supplément d’information afin de déterminer si la fusion-absorption avait été entachée de fraude et partant engager la responsabilité pénale de la société absorbante.

La société absorbante s’est pourvue en cassation en estimant qu’elle ne peut être tenue pénalement responsable pour des faits commis par la société absorbée conformément au principe de personnalité des peines.

Il convient d’abord de souligner que la question posée à la Cour de cassation était celle de savoir si l’existence d’une fraude entachant une opération de fusion entre sociétés peut conduire à écarter la règle de la responsabilité pénale du fait personnel.

Toutefois, la Cour a choisi de répondre d’une manière plus large et de déterminer s’il existe un principe général de transfert de la responsabilité pénale en cas de fusion-absorption

Par un arrêt du 25 novembre 2020 (18-86.955), la Chambre criminelle a rejeté le pourvoi de la société absorbante en considérant que cette dernière peut être sanctionnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption.

Jusqu’à cet arrêt, la Chambre criminelle considérait que la fusion-absorption, entraînant la dissolution de la société absorbée, était une cause d’extinction de l’action publique. Elle procédait par analogie avec la mort d’une personne physique, et ce conformément à l’article 6 du Code de procédure pénale. L’action publique étant éteinte, elle ne pouvait se transmettre à la société absorbante.

Par cet arrêt, elle a décidé d’opérer un revirement de jurisprudence et de tenir compte des spécificités de la personne morale qui peut se transformer volontairement, et ce sans être liquidée.

Pour ce faire, elle s’est basée sur l’article L236-3 du Code de commerce qui précise que la fusion absorption entraîne la dissolution de la société sans liquidation, et la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante. Elle en déduit que l’activité économique de l’absorbée est poursuivie par l’absorbante.

Il faut également souligner que par cette décision, la Cour de cassation s’est conformée à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui considère que la fusion-absorption telle que prévue par la Directive 78/855 entraîne le transfert de tout le patrimoine de la société absorbée à la société absorbante et de fait le passif et les obligations nées de la commission d’une infraction,

En outre, la décision est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère que la responsabilité pénale de l’absorbante sur des faits commis par l’absorbée n’est pas contraire au principe de la personnalité des peines dans la mesure ou les deux sociétés s’inscrivent dans une continuité économique et ne sont pas étrangères l’une à l’autre.

Par conséquent, en cas de fusion-absorption entrant dans le champ d’application la directive précitée- fusion-absorption de société de capitaux-, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. La société absorbante, peut se prévaloir de tout moyen de défense que la société absorbée aurait pu invoquer.

Enfin, La Chambre criminelle a précisé que la nouvelle interprétation ne concernait que les fusions-absorptions réalisées postérieurement au 25 novembre 2020 ; sa jurisprudence n’étant pas rétroactive.

Paroles d'expert

Conciliation : vers la pérennisation des dispositions de circonstances ?

Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, trois ordonnances ont créé un droit des entreprises en difficulté d’exception : 27 mars, 20 mai et 25 novembre 2020. La prolongation du délai de la conciliation et la suspension des poursuites en constituent deux mesures emblématiques.

  • Prolongation des délais des conciliations :

Tout d’abord, l’ordonnance du 27 mars 2020, modifiée par l’ordonnance du 20 mai 2020, a supprimé le délai de carence de 3 mois entre deux conciliations.

Elle a par ailleurs instauré une prolongation automatique de 5 mois de toutes les conciliations en cours au jour de son entrée en vigueur et celles ouvertes entre cette date et le 24 août 2020.

Cette mesure pouvait toutefois avoir un effet contre-productif. Un délai trop long peut engendrer le risque d’un rallongement excessif d’acceptation de la solution proposée.

Néanmoins, des praticiens soulignaient que pour certains dossiers significatifs la durée de 5 mois est trop courte et oblige à enchaîner les procédures préventives.

Désormais l’article 1 de l’ordonnance du 25 novembre 2020 précise que la durée de la conciliation peut être prorogée à la demande du conciliateur, sans pouvoir excéder 10 mois, par décision motivée du président du tribunal. Ce texte s’applique aux procédures ouvertes à compter de son entrée en vigueur ainsi qu’aux procédures ouvertes après le 24 août 2020.

  • Suspensions des poursuites en conciliation :

– Suspension ciblée des poursuites :

L’article 2 de l’ordonnance du 20 mai 2020 permet une suspension ciblée des poursuites pendant la conciliation et simplifie la procédure d’obtention des délais de grâce. La loi d’accélération et de simplification de l’action publique proroge ces mesures jusqu’au 31 décembre 2021. Les garants ne peuvent se prévaloir de cette mesure.

– Suspension générale des poursuites :

La Directive 1023/2019 prévoit la suspension des poursuites individuelles à l’encontre du débiteur en période de négociation d’un plan de restructuration dans le cadre de restructuration préventive.

Or, si la conciliation est considérée comme un cadre de restructuration préventive par la loi de transposition de la Directive, son régime devrait être amendé pour établir une suspension généralisée des poursuites.

Toutefois, plusieurs arguments s’opposent à cette suspension généralisée. En effet, le mécanisme de conciliation perd son caractère volontaire, ce qui le rendrait moins attrayant pour le débiteur et les créanciers,

Par ailleurs, l’utilité de la suspension des poursuites pose question dans la mesure où en pratique, les créanciers acceptent la suspension de l’exigibilité de leurs créances dans le cadre des négociations entreprises sous l’égide du conciliateur.

Paroles d'expert

Administrateurs et mandataires judiciaires : des experts au service de la restructuration de l’entreprise

Lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés, les chefs d’entreprise se sentent souvent isolés et sont parfois réticents à se placer sous la protection du tribunal.

En cette période difficile, ils peuvent compter sur les administrateurs et les mandataires judiciaires pour les accompagner dans la restructuration de leur entreprise.

Disposant d’une double compétence en matière de droit et du chiffre, ces professionnels oeuvrent, en toute indépendance, dans l’intérêt des entreprises en crise, de leurs salariés et des créanciers.

Les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (AJMJ) interviennent sous le contrôle du tribunal dans le cadre d’un mandat de justice qui leur est confié.

Membres d’une profession réglementée, ces praticiens de l’insolvabilité agissent à l’abri de tout conflit d’intérêts et mettent en place des solutions permettant d’assurer la pérennité des entreprises.

En cas de difficultés, l’anticipation est le maître mot

L’entreprise peut ainsi solliciter du président du tribunal l’ouverture d’une procédure de prévention amiable et négocier, en toute confidentialité, un moratoire avec ses créanciers sous l’égide d’un conciliateur ou d’un mandataire ad hoc.

La procédure collective, une protection pour l’entreprise

En cas de difficultés avérées, le tribunal est tenu d’ouvrir une procédure collective. Les AJMJ réalisent un diagnostic de l’entreprise au travers d’un bilan économique, social et environnemental. Les professionnels de l’insolvabilité accompagnent le dirigeant dans la réorganisation de l’entreprise et l’assistent dans la restructuration opérationnelle et financière.

Ils assurent notamment le suivi des contentieux en cours, examinent le bien-fondé des revendications (clauses de réserve de propriété), analysent le sort des contrats importants et vérifient le montant du passif de l’entreprise.

Ils peuvent mettre en place, en accord avec le dirigeant, une solution d’apurement du passif (plan de sauvegarde ou de redressement) ou organiser, à défaut d’une solution de remboursement de la dette, la cession totale ou partielle de l’entreprise pour maintenir l’activité et tout ou partie des emplois.

Face aux difficultés des entreprises, les administrateurs et mandataires judiciaires aident le chef d’entreprise à rebondir et minimisent les conséquences sociales de la défaillance de l’entreprise.

Ils jouent ainsi le rôle de véritables amortisseurs sociaux dans les territoires.

Olivier BUISINE

Paroles d'expert

Relance économique : n’oublions pas les outils de restructuration de l’entreprise en difficulté

Afin de faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire, le gouvernement a mis en place de nombreux outils de soutien aux entreprises.

Éviter à tout prix la « faillite », une perte de chance pour l’entreprise de se restructurer ?

Le vocable générique de « faillite » est susceptible d’avoir un effet repoussoir vis-à-vis des nombreux mécanismes de restructurations existants pour relancer l’entreprise.

Ce terme ne doit pas occulter les différences importantes entre les procédures existantes en droit français.
Grâce aux procédures de prévention amiable (mandat ad hoc, conciliation), les entreprises peuvent se placer sous la protection du président du tribunal de commerce et négocier l’instauration de moratoires avec les créanciers publics et privés.

Les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire visent également à maintenir des activités économiques, les emplois qui y sont attachés et à régler les créanciers dans le cadre d’un moratoire judiciairement accordé (plan de sauvegarde ou de
redressement).

Les solutions de cession (prepack-cession, plans de cessions en redressement judiciaire et les cessions de fonds de commerce en liquidation judiciaire) favorisent en outre le maintien de tout ou partie des emplois de l’entreprise en difficulté.Éviter l’inévitable… Certaines entreprises ont vocation à disparaitre et à être liquidées car elles ne répondent plus aux attentes du marché, et ce indépendamment de la crise issue de la Covid-19.

Au travers de la réalisation des actifs lors de la procédure, l’intervention des mandataires de justice (administrateurs et mandataires judiciaires) permet chaque année de réinjecter dans l’économie 7 milliards d’euros.

L’effacement des dettes favorise en outre le rebond de l’entrepreneur ayant connu l’échec.

La solution : articuler les mesures gouvernementales et les outils de restructuration

La restructuration d’une dette existante dans le cadre d’une procédure amiable ou judiciaire est parfois préférable à de l’endettement supplémentaire.

Les mesures mises en place par le gouvernement et celles envisagées dans le cadre du plan de relance doivent en conséquence être appréhendées de façon complémentaire avec les outils de restructurations existants en matière de droit des sociétés et de droit des entreprises en difficulté dans l’intérêt du tissu économique national.

 

Olivier BUISINE