Changeons le regard sur l’entreprise en difficulté
A l’exception de 2020 – année atypique au cours de laquelle les défaillances ont sensiblement chuté – les tribunaux ouvrent en moyenne 50 000 procédures de faillites en France chaque année.
« Faillite », « dépôt de bilan », « liquidation » : ces mots font peur.
Et pourtant derrière ce vocabulaire anxiogène lié à la disparition d’entreprises en difficulté, se cachent en fait une réalité bien différente ainsi que des outils permettant de pérenniser des activités et ouvrir des perspectives à leurs forces vives.
Valorisation d’entreprise : une problématique émergente en temps de crise
Nombreux sont les cas malheureux où les dirigeants n’ont pas pris la mesure des conséquences d’une valorisation surestimée de l’entreprise lors de son rachat. Certains montages financiers basés sur une valorisation calculée à partir des résultats n-3 ou n-2 et la trésorerie de l’entreprise reprise conduisent en effet au sentiment trompeur d’une fausse sécurité découlant de ce « matelas » à disposition. Ces montages ne favorisent malheureusement pas la restructuration quand il en est encore temps. Ils entraînent parfois le dirigeant vers un échec inéluctable et un sentiment de culpabilité susceptible d’être entretenu par le cédant.
Ces valorisations élevées, réalisées bien antérieurement à la crise sanitaire, risquent d’avoir des répercussions concernant des sociétés qui ont vu leur niveau d’activité et leurs résultats baisser depuis mars 2020.
Cession d’entreprise en difficulté : une occasion de transmettre un savoir-faire et des compétences
Les procédures prévues par le code de commerce (prévention et procédures collectives) permettent à l’entreprise sous-performante d’envisager des solutions dans un cadre sécurisé.
Accompagner la transmission, générationnelle ou non, de l’entreprise en crise ou sous-performante (cession des titres ou du fonds de commerce) fait notamment partie des possibilités qu’offre le code de commerce.
Procédure amiable
En cas de difficultés, l’anticipation est le maître-mot. L’entreprise en difficulté peut solliciter du président du tribunal l’ouverture d’une procédure de prévention amiable et négocier, en toute confidentialité, un moratoire avec ses créanciers sous l’égide d’un conciliateur ou d’un mandataire ad hoc, le plus souvent un administrateur ou un mandataire judiciaire. Ces procédures méconnues dites de « prévention » peuvent aussi être l’occasion de faire preuve de plus d’ambition que de seulement « repousser le boulet » de la dette à des jours que l’on espère meilleurs.
La procédure amiable peut en effet constituer une opportunité de céder le fonds de commerce à une société nouvelle, laquelle délestée de la dette passée, disposant de capacités de financement et d’un management renforcé, saura l’exploiter et le développer. Le passif de l’entreprise cédante devra être apuré en utilisant le prix de cession, mais aussi le poste clients et la trésorerie disponible. Cette hypothèse est tout à fait réaliste, sous réserve de se placer suffisamment tôt sous la protection du tribunal de commerce.
Procédures collectives
Dans les cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire, le plan d’apurement des dettes, élaboré par le dirigeant et les mandataires de justice puis validé par le tribunal, permet de sauvegarder le maximum d’emplois possibles. Ces plans d’apurement peuvent intégrer l’entrée au capital de nouveaux actionnaires, afin d’assurer la pérennité de l’entreprise. Pour l’investisseur, l’entreprise en difficulté constitue une opportunité d’entrer au capital à une valeur décotée avec la faculté de dégager un profit si la phase de retournement s’effectue avec succès et de bénéficier, grâce à l’état des dettes validé judiciairement, de la meilleure garantie de passif qui puisse exister, outre l’inventaire des actifs qui est établi.
La cession judiciaire de l’entreprise organisée sous l’égide de professionnels de l’insolvabilité permet par ailleurs d’assurer le maintien d’activités et de tout ou partie des emplois attachés à celles-ci. Pour des acquéreurs potentiels, l’entreprise en crise est une cible qui permet d’effectuer une opération de croissance externe. Ces procédures assurent aussi chaque année la sauvegarde de milliers d’emplois. Elles contribuent au maintien de savoir-faire et de compétences dans les territoires.
Changer la vision de l’échec entrepreneurial en France
Passer par une procédure collective (sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire) devrait davantage être perçu comme une expérience professionnelle plutôt qu’un échec.
Cette vision renouvelée du « dépôt de bilan » est d’autant plus légitime en temps de crise.
Cessons de jeter l’anathème sur l’entrepreneur qui a subi une perte de chiffre d’affaires et qui a fait le choix courageux de se mettre sous la protection du tribunal en raison de la crise sanitaire. Il faudra demain l’accompagner, le financer pour faire vivre l’entreprise « France ».
Profitons de cette période si particulière où l’on a pu constater que tout pouvait basculer soudainement (couvre-feu, confinement, fermeture administrative, etc.) pour enfin changer le regard sur l’entreprise en difficulté.
Olivier Buisine, Président de l’IFPPC, et Vincent Rousseau, Président d’honneur de l’IFPPC